Il y a 30 ans, la loi 22

Réhabiliter cette importante loi dans nos mémoires

Michel Paillé, démographe

Le Soleil, 14 décembre 2004, p. A 17

L’année s’achève sans que l’on ait souligné les 30 ans de la «Loi sur la langue officielle» votée par le gouvernement Bourassa en juillet 1974. Remplacée trois ans plus tard par la «Charte de la langue française» du gouvernement Lévesque, la loi 22 est passée à l’histoire comme une pestiférée que toute la société québécoise, minorité anglophone comprise, voulait oublier.
Pourtant, cette loi traçait les premières grandes lignes d’une véritable politique linguistique, une première dans l’histoire du Québec.

Contrairement à la loi 63 du gouvernement Bertrand (Loi pour promouvoir la langue française au Québec, novembre 1969), la loi 22 ne s’est pas limitée qu’à la langue d'enseignement. Elle touchait plusieurs domaines : l’administration publique, le travail, les affaires, l’étiquetage, les professions et, bien sûr, la langue d’enseignement, une question toujours ouverte à l’époque.
Mais d’abord, la loi 22 appliquait une recommandation de la Commission Gendron (1972). En effet, cette Commission proposait «de proclamer immé­diatement le français langue officielle du Québec». Bien que symbo­lique, cette déclaration, placée au premier article de la loi 22, a eu un effet très important.

René Lévesque n’a-t-il pas reconnu dans ses mémoires, qu’aux yeux des anglophones, la loi 22, «faisant du français la langue officielle, […] consacrait pour la première fois leur statut de minoritaires». Sans compter la profonde contrariété de Pierre Elliot-Trudeau qui avait fait adopter pour l’ensemble du Canada incluant le Québec, la Loi sur les langues officielles, soit l’anglais et le français.

Outre le caractère officiel de la langue française, c’est dans le domaine de l’implantation du français comme langue du travail où l’on trouve le meilleur héritage du gouvernement Bourassa des années 1970. En nommant François Cloutier ministre de la Culture, Robert Bourassa confiait la question linguistique à un homme personnellement très intéressé à l’avenir de la langue française au Québec.

Imprégné de sens pratique, le ministre Cloutier a fait augmenter les budgets et les ressources humaines de l’Office de la langue française (OLF) créé en 1962. À la demande du ministre, l’OLF s’est assuré de l’implantation du français dans les lieux de travail. Jadis restreint à la linguistique pro­pre­ment dite et limité à des travaux jugés trop académiques, l’OLF a su développer, sous la présidence de Gaston Cholette, une expertise concrète.

Ainsi, au début des années 1970, avant même la loi 22, l’Office a travaillé de concert avec le patronat et les syndicats. Les premiers essais de francisation attestent du succès obtenu (Aigle d’Or, Alcan, Hydro-Québec, General Electric, Mines Cartier, etc). Tou­te­fois, l’appareil étatique employé à la francisation était également en mesure de constater, de manière empirique, les limites de la persuasion. De cette expérience découleront des mesures coercitives dont les premières viendront de la loi 22. L’aurions-nous oublié?

LA LANGUE D'ENSEIGNEMENT

C’est au chapitre de la langue d'enseignement que la loi 22 a laissé un goût si amer qu’elle a été vouée toute entière aux gémonies. Élu peu après l’adoption de la loi 63, Robert Bourassa souhaitait, comme Jean Lesage d’ailleurs, que l’on en fasse «un essai loyal». Ce qui donnera le temps à la Commission Gendron de déposer son rapport (1972).

Or, la Commission Gendron ne fera aucune recommandation concrète pour limiter l’admissibilité aux écoles anglaises. En effet, en matière d’apprentissage du français, le rapport Gendron se limitera à un vœux pieux : «que tous les élèves des écoles anglophones de la province acquièrent une connaissance appro­fondie du français»! La Commission reconnaissait toutefois au gouvernement du Québec le pouvoir constitutionnel de légiférer en ce domaine, pouvoir qu’elle recommandait d’uti­liser advenant que la situation ne s’améliore pas au cours d’une période de 3 à 5 ans. Moins de deux ans plus tard, le gouvernement Bourassa fera voter la loi 22.

En matière de langue d'enseignement, la loi 22 n’a pas mieux réussi que la précédente à diriger vers l’école française les enfants des immigrants. Cette loi stipulait que pour recevoir l’enseignement en anglais, tout enfant devait d’abord connaître cette langue lors de son inscription. Mais pour vérifier la connaissance de l’anglais, elle donnait au ministre de l’Éducation le pouvoir d’imposer des tests.

Administrés à de jeunes enfants, ces tests ont été très impo­pu­laires. D’abord appliqués par les commissions scolaires (1974-1975) et ensuite par le ministère de l'Éducation (1975-1976 et 1976-1977), ils se sont révélés inefficaces. Des écoliers qui avaient échoué l’examen ont tout de même été admis dans des écoles anglaises. En outre, rien dans la loi n’aurait pu empêcher les écoliers qui ont échoué le test lors d’une première admission, de tenter de le réussir l’année suivante. Bref, en moins de 5 ans, deux gouvernements ont touché au problème de la langue d'enseignement sans le résoudre.

Il appartiendra au gouvernement suivant de trouver une solution définitive. Aussitôt après son élection en novembre 1976, le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque a entrepris de résoudre cette question avant la rentrée scolaire de sep­tem­bre 1977. Sans rien enlever aux familles qui, profitant du libre choix de la langue d’enseignement, ont opté pour le réseau scolaire de langue anglaise, la loi 101 dirige presque tous les enfants des nouveaux immigrants vers l’école française depuis maintenant 27 ans.

Nous avons calculé* qu’en 2001, le Québec comptait un peu plus de 100 000 résidents adultes (de 18 à 41 ans) instruits dans nos écoles primaires et secondaires françaises en vertu de la loi 101. Bref, à cause de son échec relativement à la langue d'enseignement – et sans doute par contraste avec l’indéniable succès de la loi 101 en ce domaine –, on n’a pas donné à la loi 22 du gouvernement Bourassa tout le mérite qui lui revient. Pourtant, le docteur Camille Laurin, parrain de la loi 101, ne disait-il pas que, sans la loi 22 du docteur François Cloutier, il n’aurait pu faire autant pour le français dès 1977.

* Voir : Les enfants de la loi 101